Le
cliché est saisissant. Le regard est dur à soutenir. Le photographe est
primé. Les retombées sont controversées.
Source © Kevin Carter/Sygma/Corbis |
Kevin Carter, photojournaliste
sud-africain de 33 ans, rapporta une photographie de son voyage au
Soudan qui restera gravée dans les mémoires. Un enfant soudanais est
recroquevillé sur le sol, guetté par un vautour affamé. La photographie
est alors publiée dans le New York Times en mars 1993. Le symbole est
fort, le cliché expose au grand jour la misère qui sévit dans la région
soudanaise. Un an plus tard, le photographe reçoit le prix Pulitzer
1994, mais il n’a pas le temps de s’en réjouir que les réactions
s’enchaînent. Le photographe, traité de « charognard », fait face à de
terribles critiques, qui l’accusent de ne pas être venu en aide à
l’enfant et de l’avoir laissé mourir. Il met fin à ses jours le 27
juillet 1994, trois mois après avoir reçu son prix.
Il a fallu
attendre fin 2010 pour qu’un journaliste mène l’enquête. Alberto Rojas,
journaliste espagnol, fit le point sur le scandale Carter et dévoila la
vérité. A cette époque, une loi en vigueur interdisait de porter
assistance ou de toucher un soudanais dans le besoin, par risque de
contamination. Les investigations de Rojas ont permis d’en savoir plus
sur l’enfant mais aussi sur le photographe. Joao Silva, confrère de
Carter, confirma le choc de son ami effondré et désemparé, peu après la
prise de la photographie. Tandis que le père de l’enfant raconta la
vérité sur son fils, mort quatorze ans plus tard, suite à une crise de
paludisme.
On ne saura jamais si le photographe s’est donné la
mort à cause de cette photographie et des accusations qui ont suivi, ou
s’il était rongé par « les souvenirs persistants de massacres et de
cadavres », comme il l’écrit dans sa lettre d’adieu. Quoiqu’il en soit,
deux questions m’interpellent. L’une sur le rôle et la responsabilité
morale des photojournalistes face aux personnes en souffrance qu’ils
photographient. L’autre sur la responsabilité des médias : est
journaliste celui qui accuse sans mener une enquête, sans prendre en
compte le « hors champ » d’une photographie ?
Article très intéressant!
RépondreSupprimer