mardi 14 janvier 2014

Une photographie contestée, des conséquences indélébiles : hors-champ de la photographie

Le cliché est saisissant. Le regard est dur à soutenir. Le photographe est primé. Les retombées sont controversées. 


Source © Kevin Carter/Sygma/Corbis

Kevin Carter, photojournaliste sud-africain de 33 ans, rapporta une photographie de son voyage au Soudan qui restera gravée dans les mémoires. Un enfant soudanais est recroquevillé sur le sol, guetté par un vautour affamé. La photographie est alors publiée dans le New York Times en mars 1993. Le symbole est fort, le cliché expose au grand jour la misère qui sévit dans la région soudanaise. Un an plus tard, le photographe reçoit le prix Pulitzer 1994, mais il n’a pas le temps de s’en réjouir que les réactions s’enchaînent. Le photographe, traité de « charognard », fait face à de terribles critiques, qui l’accusent de ne pas être venu en aide à l’enfant et de l’avoir laissé mourir. Il met fin à ses jours le 27 juillet 1994, trois mois après avoir reçu son prix.

Il a fallu attendre fin 2010 pour qu’un journaliste mène l’enquête. Alberto Rojas, journaliste espagnol, fit le point sur le scandale Carter et dévoila la vérité. A cette époque, une loi en vigueur interdisait de porter assistance ou de toucher un soudanais dans le besoin, par risque de contamination. Les investigations de Rojas ont permis d’en savoir plus sur l’enfant mais aussi sur le photographe. Joao Silva, confrère de Carter, confirma le choc de son ami effondré et désemparé, peu après la prise de la photographie. Tandis que le père de l’enfant raconta la vérité sur son fils, mort quatorze ans plus tard, suite à une crise de paludisme.

On ne saura jamais si le photographe s’est donné la mort à cause de cette photographie et des accusations qui ont suivi, ou s’il était rongé par « les souvenirs persistants de massacres et de cadavres », comme il l’écrit dans sa lettre d’adieu. Quoiqu’il en soit, deux questions m’interpellent. L’une sur le rôle et la responsabilité morale des photojournalistes face aux personnes en souffrance qu’ils photographient. L’autre sur la responsabilité des médias : est journaliste celui qui accuse sans mener une enquête, sans prendre en compte le « hors champ » d’une photographie ?


En savoir plus sur : Le Monde - Une si pesante image

1 commentaire: